
Imaginez un système parfaitement organisé, fonctionnant suivant des principes immuables. Imaginez un milieu où l’individu ne serait qu’un rouage anonyme parmi tant d’autres, au service d’un ordre « naturel » et indiscutable. Imaginez une société où chaque chose, chaque personne, resterait à la place qui lui est assignée : conseiller, chauffeur de bus, médecin… Entre cauchemar orwellien et fantasme ultralibéral, ainsi va le monde auquel appartient Artalbur. Mais, contrairement à ses concitoyens, lui n’a pas, ou n’a plus envie de se couler dans ce moule. Alors il résiste mollement, rebelle malgré lui, grain de sable involontaire dans une machinerie parfaitement huilée.
L’aide à l’emploi, troisième roman de Pierre Barrault, est une œuvre étrange qui raconte les mésaventures d’un moderne Bartleby, le héros perturbateur crée par Herman Melville. Un révolté absent, un guerrier passif qui préférerait ne pas : « I would prefer not to » selon les mots du romancier américain. C’est un récit en forme de cadavre exquis, qui baigne dans un présent fuyant, insaisissable. On y passe de porte en porte, sautant d’une situation à une autre, sans toujours savoir pourquoi, ballotés comme Artalbur entre plusieurs réalités. Pourtant ces vérités aléatoires et perturbantes qu’affronte Artalbur ne sont pas si éloignées que cela de notre univers et des monstruosités qu’il a engendrées. L’aide à l’emploi est une fable joyeusement absurde, à l’humour grinçant et iconoclaste, mais qui parle en creux des dérives inquiétantes de notre civilisation.
L’aide à l’emploi
Pierre Barrault
Editions Louise Bottu
151 p -14 €
Le Chirurgien-Dentiste de France n° 1851 du 27 juin 2019
