Une chanteuse

Valentine ne s’appelle pas encore Jil Caplan, ce n’est qu’une enfant à la santé fragile. Le temps file, le collège arrive vite, puis le lycée, les premières amours, le rock, les concerts, la chanson, une passion qui devient un métier, les galères et les succès. Et puis il y a les rencontres qui changent la vie, comme Madame Balthazar, la prof tant redoutée et pourtant fascinante, ou Jay Alansky, jeune et brillant producteur. Et les déménagements vers de nouveaux domiciles, qui sont autant d’étapes sur le chemin que se trace l’artiste. Bref, la jeunesse de Valentine/Jil, racontée à travers une vingtaine d’épisodes, des moments clés, écrits comme des petites nouvelles.  Chaque chapitre, chaque tranche de vie, est rythmé par une œuvre musicale qui donne le ton. Brassens, Bruce Springsteen, Marvin Gaye, Bach… la bande son est éclectique. Elle scande le parcours d’une chanteuse populaire avec ses hauts et ses bas, ses fulgurances et ses moments creux. Le feu aux joues est l’histoire touchante et douce-amère d’une construction.  Un récit autobiographique lucide, à l’écriture électrique et vive, un mélange délicat d’énergie, de vie et de mélancolie.

Le feu aux joues

Jil Caplan

Robert Laffont

187 p 19 €

CDF Mag n° 1977-1978 du 7-14 avril 2022

Un produit d’avant-guerre

Ce n’est pas une nouveauté mais une découverte, piquée un soir dans une bibliothèque. Cela s’appelle La belle lurette, un roman d’Henri Calet. Bien peu se souviennent de cet écrivain et c’est dommage. La belle lurette est sa première œuvre, largement autobiographique. Il y raconte sa jeunesse dans les milieux populaires de Paris et de Belgique. « Je suis un produit d’avant-guerre. Je suis né dans un ventre corseté, un ventre 1900. Mauvais début », ainsi commence le livre et son parcours. Une enfance cahoteuse, une existence de bouts de ficelles, débrouilles et petites arnaques à tenter péniblement de joindre les deux bouts.

Ce qui frappe en premier lieu chez Calet, c’est son style, une écriture âpre, sèche, directe et pourtant pleine de chaleur et de vie. Des phrases courtes qui claquent, cinglent et touchent. Il y a aussi un regard, à la fois cruel et bienveillant envers les petites gens, les humbles, les mal barrés. Derrière cette cruauté affichée, se cache une mélancolie profonde teintée d’humanité délicate. Et un humour sobre, d’un gris désespéré et tendre. Il ne faudrait pas oublier Henri Calet.

Henri Calet

La Belle lurette

L’imaginaire Gallimard

182 p – 8,50 €

CDF Mag n° 1966-1967 du 20-27 janvier 2022

Fraborigène

La France et l’Australie sont séparées par des milliers de kilomètres. Vanessa est tombée amoureuse de ce pays lointain et de sa terre la plus ancienne, celle des aborigènes. Petit à petit, les liens qu’elle tisse avec ce territoire et ses premiers habitants se multiplient et se resserrent. Sa fascination pour la culture native ne cesse de s’accroitre. Des rencontres vont bouleverser sa vie, Nampin, la gardienne traditionnelle du peuple Warumungu, véritable point d’ancrage dans sa quête spirituelle, ou Darren, son amour aborigène.

Ma peau d’un autre monde est l’histoire émouvante de la rencontre avec ce pays-continent et son peuple d’origine. Un long voyage initiatique vers la beauté d’une civilisation emplie de forces venues d’un autre temps, malgré la brutalité et la cruauté de son quotidien. L’écart est grand entre la vie parisienne et celle de bush, entre deux conceptions de l’univers totalement différentes et si difficilement conciliables. Ce qui touche dans ce beau récit, c’est cette volonté inflexible de Vanessa Escalante de rattraper ses rêves, cette envie de devenir une « Fraborigène ». Ni les obstacles matériels, ni les difficultés de compréhension, ni la dureté de la vie indigène ne l’arrêtent. Les pieds sur terre et la terre dans le cosmos, elle avance : « J’aime cette terre, elle fait partie de moi. Je m’y perds souvent, pour à chaque fois me rapprocher un peu plus de moi-même ».

Ma peau d’un autre monde

Vanessa Escalante

Mama édition

248 p – 20 €

CDF Mag n° 1957 du 11 novembre 2021

Quel cirque !

« Mon pays a une superficie de cinq mille quatre cents mètres carrés, ses frontières sont des barrières de fer ». Rudy et ses parents vivent dans un monde qui n’est pas rien, un grand cirque magique, le célèbre cirque Zimmer. On y rencontre des tas d’animaux, des artistes aux multiples talents et toute une petite foule de travailleurs du spectacle. La vie circassienne, c’est le Grand Rodrigo, fascinant trapéziste, Eusice, chef-monteur aux mille ressources ou Morzini, magicien approximatif, les copains, les cours par correspondance… Bref, une société à part, une sorte de bulle étrange, effrayante et merveilleuse pour un petit garçon comme Rudy. Un univers en éternel mouvement, avec sa flotte de cent quinze véhicules roulant d’une ville à l’autre. Chaque jour une nouvelle cité à conquérir, un immense chapiteau à monter puis démonter, des kilomètres à avaler.

Cette vie de nomade, c’est l’enfance de Rudy Spiessert, dessinateur et auteur de ce beau récit itinérant, Les villes d’un jour, réédité chez Vide Cocagne. Un voyage aux couleurs tendres, à l’humeur souvent joyeuse parfois mélancolique. En fermant le livre, on se dit qu’il aurait été chouette de faire partie de la grande famille du cirque Zimmer et de devenir son camarade de jeu.

Les villes d’un jour

Vide Cocagne

Rudy Spiessert

88 p – 16 €

CDF MAG n° 1951 du 1er octobre 2021

Les histoires d’A

Chaque chanson raconte plusieurs histoires. Les titres de Dominique A, Dominique Ané à l’Etat-civil, peut-être plus que d’autres. Il y a bien sûr l’histoire que l’auteur a voulu raconter, par le texte et par la mélodie. Celle que le public a entendu, qui n’est pas toujours la même. Celle qui a entouré sa création, constituée souvent de rencontres, de voyages, de découvertes. Et celle plus mystérieuse, tapie au fond du cœur, faite de non-dits, de souvenirs enfouis ou de prémonitions : « L’écriture nous devance, elle en sait souvent plus que nous« .

Des morceaux, Dominique A en a écrit et composé beaucoup depuis ses premiers pas, au début des années 1990. Pour lui, notamment pour les besoins de ses onze albums, dont Vers les lueurs, Victoire de la musique 2013, et parfois pour d’autres chanteurs (Etienne Daho, Alain Bashung…). Il est aujourd’hui devenu une figure discrète mais incontournable du paysage musical français.

Ma vie en Morceaux est l’occasion pour l’auteur-compositeur, l’année de ses cinquante ans, de se pencher sur quelques unes des créations qui ont jalonnées sa carrière. Vingt-six chansons marquantes. Vingt-six instants piochés dans l’existence de l’artiste, qui racontent l’homme, ses doutes, ses espoirs, ses désirs. Vingt-six histoires comme autant de petits romans, comme autant d’aventures. A la fois récit intime, pudique et attachant, et réflexion sur l’écriture, la musique et la création artistique, Ma vie en morceaux, bien au delà d’un ouvrage destiné aux fans de Dominique A, est avant tout un vrai plaisir de lecture.

Ma vie en morceaux

Dominique Ané

Flammarion

218 p – 18 €