Bref mais court

Gregueria est un terme espagnol qui pourrait être traduit par cri confus ou « brouhaha ». Mais c’est surtout une forme littéraire popularisée par Ramón Gómez de la Serna, un des écrivains espagnols parmi les plus inventifs et les plus prolixes. Ses greguerias sont de courtes phrases alliant humour et métaphore. L’Argentin Eduardo Berti, avec la complicité de la plasticienne Clémentine Mélois pour les illustrations, a voulu rendre hommage au maitre virtuose des greguerias en publiant un recueil de ces instantanés d’écriture.

L’ivresse sans fin des portes tournantes est donc un curieux inventaire de formules magiques et drôles, un catalogue loufoque d’éclairs poétiques. Chacun de ces traits de plume est un micro-voyage vers un monde parallèle, une brève déambulation dans une réalité légèrement distordue. Grâce aux greguerias, les objets et les animaux ont enfin une âme. Le minuscule vire alors au grandiose, l’anodin se transforme en douce folie et la lourdeur se pare soudain d’une élégance aérienne.

L’ivresse sans fin des portes tournantes

Eduardo Berti

Le Castor Astral

96 p – 16 €

Revue et approuvée (2)

Le Bouclard Nouveau est arrivé. Contrairement au Beaujolais nouveau qui sent forcément la banane, Bouclard a le parfum doux et changeant des livres aimés. En vieil argot, un bouclard désignait une librairie. Donc, forcément, Bouclard parle de livres et de littératures. Dans ce deuxième numéro, Emilie Houssa est partie à Illiers-Combray, dans une poétique recherche du proustien perdu. Cyril Gray a traversé l’Atlantique jusqu’à Cali, pour y rencontrer Hermán Hoyos, sorte de Douanier Rousseau colombien de la pornographie underground. Joël Langonné a laissé vagabonder sa pensée, dans un réjouissant coq à l’âne bibliophile. Avec, cerise sur le gâteau, les participations de la bibliothèque de Quentin Faucompré, des dessins de War and Peas et des poèmes de Maude Veilleux.

Tout ça pour dire que Bouclard est une revue joyeusement curieuse et éclectique. Elle est vendue dans les meilleures libraires de la galaxie. Il est aussi possible de la commander sur le site de Bouclard Éditions : www.bouclard-editions.fr.

Bouclard

Revue semestrielle

Bouclard Éditions 

10 € le numéro

Souffrances

Les corps brulés de quatre gamins sont retrouvés dans une maison abandonnée de la banlieue nord de Paris. Une équipe médicale s’interroge sur le comportement d’une mère face au cancer de sa fille. Un patient confesse ses penchants morbides à son psychiatre, distillant un malaise de plus en plus lourd. Trois histoires parallèles qui mobilisent l’équipe de l’inspecteur Rovère et la juge d’instruction Nadia Lintz. Trois enquêtes faites d’impasses et d’atermoiements, qui plongent les policiers et la magistrate au cœur des ténèbres, dans des mondes de désespoirs et de souffrances, dont les enfants sont les premières victimes, car les plus faibles parmi les faibles.

Moloch est une fascinante incursion dans les marges de notre système, vers des lieux d’errance et de violence. Une intrigue riche, complexe et brillamment menée, sur fond de réalisme social. Des personnages principaux dotés d’une réelle épaisseur, profondément humains, même dans leurs faiblesses. Un récit policier à l’écriture sobre, précise et sèche comme un coup de trique, qui tient en haleine jusqu’au bout de la nuit.

Les écrits de Thierry Jonquet, décédé en 2009, ont notamment inspiré le cinéma (La piel que habito de Pedro Almodovar, adapté de Mygale) et la télévision (la série Boulevard du Palais, avec Jean-François Balmer et Anne Richard). C’est un des grands écrivains du roman noir français, à l’instar d’un Jean-Patrick Manchette ou d’un Didier Daeninckx. La réédition récente de Moloch chez Folio est l’occasion de s’en souvenir.

Moloch

Thierry Jonquet

Folio

232 p – 8,40 €

Le non-sens de la vie

Germain Huby est un observateur discret au regard acéré. Il y a longtemps qu’il regarde et écoute le monde qui l’entoure. Il scrute les bizarreries et les incohérences de notre société. De ces observations il a fait un livre. Il s’appelle Le bruit des mots. Le principe en est simple : une scène dessinée en une image unique et quelques personnages qui bavardent. La famille, le couple, l’entreprise, la justice ou la vie extraterrestre. Une chambre, la mer, la montagne ou la planète Terre. Des univers variés et des décors aux dimensions changeantes. Des situations où la banalité flirte avec l’étrange ou le fantastique, quand elle n’y bascule pas complètement.

Le tout donne un cocktail étonnant et savoureux, entre l’absurde des Monty Python, version Le sens de la vie, l’humour sombre et lacunaire de Chaval, et l’art des dialogues de Woody Allen. Chaque dessin est un roman-photo minimaliste et épuré aux couleurs douces et froides. Une suite de vignettes drôles et cruelles qui racontent le ridicule et la vanité de la condition humaine.

Le bruit des mots

Germain Huby

Le tripode

16 € – 96 p

Celle qui n’ose pas

Elle, c’est Mademoiselle Chambon, l’institutrice. Celle qui n’ose pas, celle qui aurait aimé, celle qui aurait pu. Une femme à talons plats. Lui c’est Antonio, le papa de Kevin. Le maçon aux mains sales, le malhabile, celui qui se trouve trop lourd. Un taiseux. Par hasard, les chemins de ces deux timides vont se croiser. Ils vont se voir, s’observer, se découvrir et tomber amoureux l’un de l’autre. Petit à petit le gris de leurs existences va prendre les couleurs du printemps. Mais il y a Anne-Marie, l’épouse, la maman de Kevin, qui attend un deuxième enfant. Il y a l’amitié qui nait entre les deux femmes. Il y a la vie et tout son poids.

Mademoiselle Chambon de Éric Holder est le court roman d’une histoire d’amour vouée à l’échec. Un livre de peu de mots, tout en sobriété délicate, où tout est dit, jusqu’à l’indicible. Une écriture légère et grave pour un récit profondément émouvant, plein de silences et de gestes suspendus.

Mademoiselle Chambon

Éric Holder

J’ai lu

160 p – 6 €