Un monde comme une équipe

Et si le rugby, plus qu’un sport d’affrontement, était d’abord un sport d’émotions ? Un sport d’enfants rêvant d’exploits, d’adultes restés enfants, de vilains vieux pleins de souvenirs. Si le rugby était une philosophie, peut-être même une religion vouée au culte du ballon ovale ? Une religion déraisonnable, certes, mais faite de solidarités, de joies, de complicités, de partages et de bavardages. Mais aussi de gueules de bois, celles des grandes défaites ou des troisièmes mi-temps trop arrosées, de côtes en vrac, de peurs et de regrets. Si le rugby était un parfum ? Celui de l’huile de camphre, celui des pelouses trop sèches ou trop humides. Si c’était une musique ? Celle des crampons qui claquent à la sortie des vestiaires, celle des mêlées qui s’entrechoquent. Le rugby de Benoit Jeantet, c’est tout cela et bien plus. Le ciel a des jambes est un recueil de nouvelles qui raconte avec tendresse et poésie les hommes et les femmes qui font le rugby, tous si dissemblables et pourtant si proches, peuplant une planète bizarre où tout ne tourne pas rond et s’est parfait ainsi. Oubliant l’image médiatique de ce sport, scintillante mais tellement réductrice, l’auteur nous parle du rugby des petits clubs, avec leur quotidien, leurs figures rassurantes, leurs légendes minuscules, leurs héros de séries régionales et leurs anonymes. Les personnages de ses nouvelles, on peut les croiser au bistro du coin, sur le bord d’un terrain à moitié pelé, dans la rue, dans un bureau ou dans les champs. C’est peut-être ce grand deuxième-ligne qui a l’air un peu con ou ce vieil italien. C’est un monde comme une équipe, avec ses différences et ses contradictions, où chacun a sa place et où tous se complètent.

Le ciel a des jambes

Benoît Jeantet

Les éditions du volcan

214 p -16 €

Aux origines de la Terre du Milieu

La bibliographie de Tolkien ne se résume pas au Hobbit et à la trilogie du Seigneur des anneaux. Derrière ces livres au succès considérable, il est une œuvre fondatrice, sur laquelle l’écrivain a travaillé toute sa vie et qui n’a été publiée après sa mort : Le Silmarillion, grâce au travail de son fils Christopher Tolkien. C’est la source de tout l’univers de Tolkien, la matrice de toutes ses légendes. Les elfes, les hommes, Sauron, l’anneau unique… tout se trouve dans le Silmarillion. L’ouvrage est le récit des origines de la Terre du Milieu, de Eru, l’Unique, à la source de toutes les vies, jusqu’à la création des anneaux et aux débuts du troisième âge. Une mythologie extrêmement riche et fascinante créée de toute pièce. Une série de récits qui peut se lire comme un seul roman ou comme un ensemble de nouvelles dans lequel le lecteur peut piocher en fonction des envies.

Les éditions Christian Bourgeois viennent de publier Le Silmarillion dans une nouvelle traduction signée Daniel Lauzon. Cette nouvelle version, fruit d’un travail d’une dizaine d’années, est un bonheur de lecture, grâce à une langue dépoussiérée et allégée. C’est un délice de se plonger ou de se replonger dans l’univers de Tolkien. Cette édition est enrichie des peintures colorées de Ted Nasmith, un artiste qui a su parfaitement retranscrire les mythes tolkieniens. L’ensemble constitue un très bel objet littéraire à offrir ou, plus égoïstement, à dévorer seul dans son coin et sans fausse honte.

Le Silmarillion

J.R.R. Tolkien

Christian Bourgeois

362 p – 39,90 €

CDF Mag n° 1961 du 9 décembre 2021

Défense de la brièveté

Un homme épluche une pomme, un gendarme s’inflige des contraventions, des vaches écoutent la radio… L’esprit de Guéorgui Gospodinov, où plutôt sa plume, vagabonde d’une courte histoire à une autre, sautant avec célérité du coq à l’âne ou au brigadier. Des petites fictions qui ressemblent à autant de courts métrages, de micro films. Deux lignes ou une page, l’auteur glisse d’un univers en modèle réduit à un autre, au gré de ses envies, de ses humeurs. Les thèmes changent, les couleurs varient, un peu de vert espoir par là, un peu plus de mélancolie grise par ici. Des flashs de poésie, des éclairs d’humour, des instantanés d’absurde ou des brèves de pessimisme, rajoutez à cela une bonne dose d’autodérision, Tous nos corps est une délicieuse compilation de récits bâtis à la gloire de la brièveté. Entre légèreté et gravité, ce recueil de nouvelles venu de Bulgarie réhabilite avec succès cette forme littéraire souvent trop négligée.

Tous nos corps

Guéorgui Gospodinov

Editions Intervalles

156 p / 14 €

Dr Feelbad

Et si le bonheur n’était qu’une vaste arnaque, un concept inventé par des communicants pervers pour nous vendre du bien-être préemballé et formaté ? Un façon de nous guider vers une vie aseptisée, bercée aux aphorismes creux de Paolo Cuelho ou d’Alexandre Jardin. Heureusement, des âmes lucides et bienveillantes ont compris que seul le malheur valait la peine d’être vécu. Rater sa vie, d’accord, mais avec panache ! C’est la solution que propose Cafard noir, un receuil de seize nouvelles publié aux éditions Intervalles. Une sorte d’anti Psychologie Magazine, ou la vie, mode d’emploi, mais en version dépressive. Des amours ratées, des carrières professionnelles en berne, des dégringolades, rien n’est épargné à aux pitoyables héros de ces aventures.

Les récits joyeusement sinistres de cet ouvrage agissent avec humour comme des antidotes ironiques et salutaires à une des maladies de notre époque, l’injonction au bonheur obligatoire. Cette religion du développement personnel que nous vendent une certaine presse, une certaine littérature. Un genre à part entière qui encombre librairies et bibliothèques, qui recèle certes quelques perles, mais aussi beaucoup de vent. Grâce aux auteurs de Cafard noir, broyez du noir, mais avec le sourire au coin des lèvres.

Cafard noir

Ouvrage collectif

Editions Intervalles

192 p – 19 €

Un pavé dans l’anar

« L’anarchie est la haute expression de l’ordre » a écrit Elysée Reclus. Il n’est pas certain que cet adage soit universellement partagé, tant l’idée d’anarchie fait en général office d’épouvantail, symbole de désordre absolu. Pourtant l’anarchisme un courant de pensée riche et complexe, entre philosophie et politique, qui a influencé de nombreux domaines, comme ceux du syndicalisme, de l’art ou de la culture.

Le recueil de nouvelles C’est l’anarchie ! est l’occasion de remettre ce mouvement en lumière, à rebrousse-poil des idées reçues. Vingt auteurs pour vingt nouvelles autour de vingt figures de l’anarchie, ça c’est de l’ordre ! On y croise des personnages  comme Emiliano Zapata, héros mythique de la révolution mexicaine, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, exécutés aux Etats-Unis pour des braquages qu’ils n’avaient pas commis ou Jules Bonnot, leader de la Bande à Bonnot, pour ne citer que les plus connus. Histoires d’espoirs, de révoltes et de répressions, C’est l’anarchie ! est un bel hommage à ces libertaires, utopistes obstinés, qui ont tant voulu changer le monde.

C’est l’anarchie

Editions du Caïman

Collectif

300 p – 15 €

Off courses

Et si les listes de courses n’étaient en fait que des messages secrets, subtilement codés ? C’est l’incroyable découverte qu’a faite Clémentine Mélois en étudiant pendant des années, cloîtrée dans son laboratoire secret, ces précieux documents. Enfin presque. L’artiste collectionne depuis longtemps les listes de commissions ramassées dans la rue. Des tas de listes, des sèches comme des coups de trique, des longues comme des jours sans pain, des illisibles, des dessinées, des barbouillées…

A partir de ces bouts de papier abandonnés, dont elle publie la photo, elle a imaginé des instantanés de vie. Chaque image raconte un personnage, une histoire, comme la voix off d’un documentaire. Un court récit à la première personne qui est à la biographie ce que le speed-dating est aux histoires d’amour. Naviguant entre surréalisme et banalité tranquille, Sinon J’oublie est un catalogue aléatoire et merveilleux de petites misères et de grands espoirs. Edith, Jeanne, Michel, Kevin et les autres, l’auteure les imagine, leur donne consistance et leur offre pour un instant la parole. A travers son regard tendre, le quotidien le plus banal de ses héros approximatifs se transforme en une série de micro-aventures pleines de poésie et d’humour. Le roman de Clémentine Mélois est un inventaire précieux et dérisoire de petits éclats d’existences. Jacques Prévert peut commencer à s’inquiéter.

Sinon j’oublie

Clémentine Mélois

Grasset

240 p – 16 €

Chacun cherche son chat

Vous avez peut-être déjà croisé, collé à un arbre ou à un mur, un message déposé par un humain éploré à la recherche de son animal de compagnie disparu. Ces affiches racontent des micro-tragédies de la rue, empreintes de tristesse et d’espoir. Bruno Gibert, tel un Docteur Dolittle urbain et écrivain, doit probablement parler couramment plusieurs langues, comme le chien, le chat ou la perruche. Grâce à ce don, il a pu donner la parole à quelques-uns de ces fugitifs, sous la forme de lettres adressées à leurs propriétaires.

Pas perdus ! c’est une vingtaine d’histoires pleines de poésie et d’humour, inventées à partir de vrais avis de recherche. Elles parlent de nos relations souvent ambiguës avec nos fidèles compagnons. Des fables sensibles et ironiques où l’humanité, avec ses petits travers, n’a pas toujours le beau rôle. La littérature enfantine dissimule des trésors insoupçonnés. Pas perdus ! fait partie de ces perles rares et cachées qui méritent d’être découvertes et appréciées sans fausse honte et sans limitation d’âge.

Pas perdus !

Bruno Gibert

L’école des loisirs

160 p – 12 €

Solitaires

 Un commissariat perdu au cœur d’un Paris nocturne. Des rues grises et humides. Un port, une gare, des bateaux et des trains qui partent vers des ailleurs inaccessibles. Une vieille voiture américaine. Des flics bas du plafond, d’improbables prisonniers, des fantômes du passé, des matous philosophes : d’étranges créatures se croisent  dans ces lieux incertains. La nuit est leur royaume et la solitude leur pain quotidien. Ainsi vont les héros de Mauvaises nouvelles du front, un recueil de onze nouvelles d’Hugues Pagan.

L’auteur est comme les chats, il a eu plusieurs vies : enseignant, policier, écrivain, scénariste… Les histoires qu’il nous conte, écrites entre 1982 et aujourd’hui, sont des éclats de ces existences multiples. Un peu de métaphysique, un zeste de fantastique, quelques gouttes de trivialité ; ajoutez une bonne dose de poésie, d’humour et de mélancolie, le tout assaisonné d’une juste révolte, et vous aurez les parfaits ingrédients de cette « toute petite comédie humaine » concoctée à force de matins blêmes. Des sortes de romans noirs impressionnistes, aux intrigues minimales, où l’âme des personnages importe plus que l’intrigue, où l’atmosphère pèse plus que l’action. Ces onze nouvelles sont aussi l’occasion de retrouver ou de découvrir, pour ceux qui ne le connaissent pas, les mots superbes d’Hugues Pagan, une langue riche, inventive, joyeuse et subversive. A lire de préférence en sirotant un bon verre de cognac avec, en fond sonore, un disque de Billie Holiday ou de Lionel Hampton. Et si, en plus, vous avez un félin qui ronronne à proximité, le plaisir n’en sera que plus grand.

Dernières nouvelles du front

Hugues Pagan

Rivages Noir

240 p – 15,90 €

Le Chirurgien-Dentiste de France n° 1833-1834 du 21-28 février 2019

Place des ternes

Où vont les invisibles, les ternes, les sans relief ? Ces femmes et ces hommes que l’on croise mais que l’on ne regarde pas. Voués pour toujours à l’ombre, à l’oubli, voire au mépris, les voilà condamnés à traverser nos vies comme des ectoplasmes : « cette présomption d’insignifiance ne se renverse pas. C’est définitif ». Mais méfiez-vous, nous susurre  Isabelle Zribi, quand ces pâles figures se rebellent cela peut faire mal. Et même très mal parfois.

La revanche des personnes secondaires, son dernier livre, est une suite d’histoires de révoltes. Un garçon mal dans sa peau se transforme en diva underground et trash, une jeune fille fait payer très chèrement aux hommes leurs harcèlements, un grand-père délaissé se fait passer pour l’homme le plus vieux du monde… Les héros de ces fables amorales et grinçantes sont d’abord les victimes de leur apparence. Mais ce sont aussi les éléments perturbateurs qui viennent brouiller l’ordre établi. Ils semblaient médiocres, si peu visibles, ils deviennent soudain étranges et envahissants. Des rôles s’inversent, des masques tombent, des humiliés relèvent la tête. Et leurs représailles inattendues, joyeusement méchantes, sont à la hauteur des humiliations subies.

Isabelle Zribi est avocate et romancière. La revanche des personnes secondaires est son quatrième ouvrage. Ces treize courts récits, au style vif et tranchant, distillent une atmosphère inquiétante et drôle. Un recueil de nouvelles, comme autant d’actes de renaissance, à l’humour cruel et incisif.

La revanche des personnes secondaires

Isabelle Zribi

Éditions de l’Attente

134 p – 15 €

Le Chirurgien-Dentiste de France n° 1833-1834 du 21-28 février 2019

Oublier Disney

Pourla plupart d’entre nous, Mary Poppins a le visage pimpant et souriant de Julie Andrews dans le film des studios Disney, une féerie pleine de joie et de fantaisie. Pourtant ce personnage a existé bien avant que le cinéma ne s’y intéresse, sous la plume de Pamela Travers, et il est bien moins lisse, beaucoup plus complexe et intéressant que sa version hollywoodienne.

Le Castor Astral vient de publier les deux dernières histoires de l’auteure, traduites pour la première fois en français. Le livre est composé en quatre parties, dont une préface de son traducteur, Thierry Beauchamp, qui permet de comprendre l’importance de l’œuvre de Pamela Travers, et un long article confession de l’auteure. Au cœur de l’ouvrage, deux contes, La Maison d’à coté et Dans l’allée des cerisiers, probablement ses récits les plus personnels. L’ensemble est joliment illustré par Clara Lauga. On retrouve bien sûr dans ce livre l’imagination foisonnante du film, mais ici la magie se teinte de mystère et de mélancolie. La nounou de roman est bien plus étrange et sombre que sur grand écran. Comme l’Alice de Lewis Carroll, Mary Poppins n’est pas un personnage destiné aux enfants, sa créatrice l’a toujours revendiqué. C’est une déesse venue du fonds des âges « sortie du même puits sans fond que la poésie, les mythes et les légendes« . Telle une divinité païenne bienfaisante autant qu’inquiétante, elle va et vient à sa guise, agit quand elle l’estime nécessaire, sans jamais rien expliquer. Mary Poppins, La maison d’à coté est l’occasion de découvrir ou redécouvrir cette déroutante et merveilleuse gouvernante, que l’on ai 7 ou 77 ans.

Mary Poppins, La maison d’à coté

Pamela Travers

Le Castor Astral

200 p – 24 €

Mauvaises notes

Mort à Venise

Quoi de mieux, pour se mettre dans le bain avant des vacances à Venise, qu’un peu de littérature ? Comme je suis un touriste cultivé et responsable, j’ai acheté La mort à Venise de Thomas Mann, publié au Livre de Poche.

La lecture à petite dose c’est bien, mais il ne faut pas en abuser, cela peut nuire gravement à la santé. Contre ce mal insidieux, il y a les notes de bas de page. On nous fait croire qu’elles servent à éclairer le lecteur, mais en réalité, elles n’ont qu’un but : le dégoûter. Elles sont des patchs anti-culture d’une efficacité quasi clinique.

Les notes de bas de page proposées par le Livre de Poche dans cette édition de La mort à Venise ont manifestement été élaborées dans un laboratoire secret extrêmement compétent. Elles sont en plus renforcées par une introduction en béton armé, avec de vrais morceaux de Plutarque, Platon, Xénophon et autres Phaidros à l’intérieur. Un matériau de première qualité, du même type de celui utilisé pour la construction du mur de l’Atlantique.

Je me suis arrêté page 31, heureusement. Et j’ai appris que l’asti était un vin mousseux italien. C’est le genre d’information qui peut toujours être utile pour les mots croisés.

La mort à Venise

Thomas Mann

Le Livre de Poche

237 p – 5,60 €

Printemps rebelle

Des nouvelles de Mai 68

Il y a cinquante ans, les événements de Mai 68 réveillaient brutalement la France du Général de Gaulle. Pendant quelques semaines l’histoire a bifurqué vers des chemins de traverse chaotiques, dans un pays assoupi dans le ronron des Trente Glorieuses. La peur du désordre des uns, les rêves de révolution des autres, ou tout simplement la découverte de la liberté, tous ces sentiments contradictoires ont contribué à faire de cette étrange parenthèse un des mythes de la société française moderne.

Au delà des commémorations en tout genre qui accompagnent ce cinquantenaire, les éditions du Caïman ont eu la bonne idée de donner carte blanche à vingt-trois écrivains en publiant Des nouvelles de Mai 68. Entre souvenirs plus ou moins romancés et fiction pur et simple, Didier Daeninckx, Tito Topin et leurs camarades nous embarquent, le temps d’une nouvelle, dans leurs machines à remonter le temps. Des pavés volent au Quartier Latin, des Katangais envahissent la Sorbonne, Villa Léone, le Préfontaine et la Valstar coulent à flot. A Lons-le-Saunier, des lycéens s’échappent de la grisaille et en Alsace une gamine croise le chemin d’un étudiant en dentaire. Humour, nostalgie, émotion ou constat lucide, chaque auteur apporte son univers et son style. En contrepoint de ces récits, vingt-huit dessinateurs de presse illustrent à leur façon cette période quelque peu troublée.

Des nouvelles de Mai 68 est une façon agréable de fêter l’anniversaire de la révolte printanière.  En prime, vous découvrirez les premiers pas en politique d’un parlementaire célèbre, devenu aujourd’hui un des principaux opposants de l’actuel gouvernement.

Des nouvelles de mai 68

Ouvrage collectif

Editions du Caïman

350 p – 15 €

Le Chirurgien-Dentiste de France n° 1800-1801 du 24-31 mai 2018

Drôles de héros

comment-vivre-sans-lui

Un chanteur populaire défunt, des couples volages, un tortionnaire délicat, un homme qui se transforme en chien, et même Dieu, tels sont quelques un des personnages croisés dans Comment vivre sans lui ?, recueil de nouvelles signé par Franz Bartelt. C’est un monde d’une étrange banalité, perdu du coté de ‘l’Est pluvieux » , que l’auteur prend plaisir à dynamiter.  en lui insufflant une salutaire dose de folie et de fantastique. Cette province hors du temps «  qui se traîne dans les torpeurs de l’ennui » se retrouve victime de mystérieux dérèglements. Des policiers marchent sur l’eau, un artiste consacre sa vie à changer chaque jour de nom, un homme tombe dans un trou inconnu au pied de son lit, la bonté devient une maladie honteuse. Les héros sans envergure de ces treize nouvelles voient soudain leur quotidien partir en vrille et se transformer en une machine infernale et absurde. Leur recherche d’honneurs ou de fortune, leurs plans et leurs chimères se retournent contre eux.

La lecture de Franz Bartelt est un bonheur. C’est un amoureux des mots et cela se ressent. Ses récits sont bourrés d’un humour noir et loufoque, joyeusement irrespectueux de l’ordre établit et de la logique la plus élémentaire. On y rit sans honte des péripéties insensées de ses personnages. On peut y retrouver l’univers d’un Marcel Aymé ou la verve d’un Michel Audiard qui se serait égaré quelque part au milieux des Ardennes.

Auteur de nombreux romans, parmi lesquels Les bottes rouges qui devrait être adapté au cinéma en 2017, Franz Bartelt excelle aussi dans le registre de la nouvelle, dont il a décroché le Goncourt en 2007. On ne peut que lui souhaiter un succès de même nature, tant Comment vivre sans lui ? est une œuvre réjouissante.

Comment vivre sans lui ?

Franz Bartelt

Gallimard

272 p – 18 €

Le Chirurgien-Dentiste de France n° 1740-1741 du 9-16 février 2017